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L'histoire du mois : Vogue Paris, l'histoire de la Parisienne sur Papier Glacé

  • Photo du rédacteur: Lisa Andrieu
    Lisa Andrieu
  • 17 avr. 2017
  • 8 min de lecture

Fondé en 1892 par Arthur Baldwin Turnure, Vogue est avant-tout un magazine américain. Conçu comme un hebdomadaire, la ligne éditoriale du magazine s'oriente principalement vers le monde de l'élite américaine et rend compte des mondanités les plus extravagantes faisant battre le cœur de New York. Néanmoins, le magazine peine à fidéliser un lectorat précis et c'est l'homme d'affaire Condé Nast qui, en 1909, sauve la publication et décide d'en faire une revue de premier rang.

Premier numéro de l'édition américaine du magazine Vogue, 1892

L'homme d'affaires a de grandes ambitions pour cette nouvelle revue dont l'une des premières rédactrices en chef est Edna Chase. Elle propulse le magazine au sommet de la presse américaine. Connue comme redoutable, elle occupe son poste de 1914 à 1952 et forme avec Condé Nast, un duo particulièrement efficace qui arrive, en l'espace de quelques années seulement, à faire de Vogue une référence en matière de mode et d'élégance. Fascinés par l'Europe et en particulier par la France et sa capitale, Edna et Condé Nast lancent une édition européenne dirigée par une agence basée en Allemagne. La Première guerre mondiale freinant les activités des revues européennes, Vogue est accueilli avec succès sur le Vieux Continent.

La première rédactrice en chef de Vogue, Edna Chase

Alors que la guerre est terminée, Edna et Condé retournent à Paris. Impressionnés par l’effervescence créative qui règne dans la capitale, ils décident de lancer l'édition française du magazine. Condé Nast s'associe alors avec Lucien Vogel, fondateur de la Gazette du Bon Ton et nomme l'épouse de ce dernier, Cosette Vogel, descendante de la famille royale de Suède, à la tête du magazine. Elle s'entoure de mondaines comme la princesse Bibesco pour le contenu éditorial, de la duchesse d'Ayen, épouse du neveu de la vicomtesse de Noailles pour la mode et du photographe George Hoyninguen-Huene.

La volonté d'inscrire le magazine comme référence en matière de mode et de culture incite Lucien Vogel et Condé Nast à prêter un soin tout particulier aux images présentées, aux textes rédigés, aux choix des couturiers. On ne peut pas réellement se rendre compte de l'évolution du statut de la femme tant celle-ci est libre dès les premiers numéros. Contrairement au Vogue américain par exemple, les articles ne sont pas conçus dans le but d'aider la femme à être une bonne épouse, à être une femme au foyer. Vogue Paris choisit de montrer une femme qui voyageant aux quatre coins du monde, conduisant, ne portant pas de corset et faisant ses propres choix. On découvre alors en couverture Suzanne Lenglen incarnant la femme sportive. Elle arbore une coupe à la garçonne, porte des vêtements amples pour être à l'aise sur le court et n'hésite pas à affirmer son caractère et son envie d'indépendance. Vogue Paris diffuse l'idée d'une femme indépendante qui possède à la fois l'allure et l'esprit.

Vogue Paris met à l'honneur la femme sportive et indépendante dès ses premiers numéros, en 1921

Aussi, le choix d'intituler le Vogue français, Vogue Paris, est lié au fait que le magazine s'adresse principalement à la Parisienne, cette femme fantasmée pour qui l'élégance serait innée. On lit par exemple : « La Parisienne aime les drapés orientaux », « La Parisienne se promène en calèche » ou encore « La Parisienne fête la réapparition de l'ombrelle ». L'idée est de s'adresser à une femme faisant ses propres choix comme le mythe de la Parisienne le laisse à penser. À travers cette figure, Vogue Paris s'adresse à tous les esprits libres ayant soif de culture et d'élégance.

Jusqu'à la fin des années 1920 la rédaction de Vogue Paris reste cependant sous la houlette de la direction américaine. C'est avec l'arrivée de Michel de Brunhoff, en 1929, que le magazine va se franciser. C'est un homme d'expérience ayant une certaine vision de la presse féminine qui prend les rênes de Vogue Paris en décembre 1929. Dès le début, ses intentions sont claires : faire de Vogue Paris une revue typiquement française. Homme passionné de littérature, de théâtre, d'arts, il compte apporter un contenu culturel aux pages du magazine. Il souhaite à la fois changer le contenu mais aussi la maquette en laissant les artistes s'exprimer dans la revue. Michel de Brunhoff veut faire de Vogue Paris une revue d'esthète, un objet d'art où l'on retrouve le must de la société contemporaine. Le magazine crée de cette manière sa propre identité à la fois éditoriale et visuelle. L'édition française de Vogue Paris, tout en s'adressant à une certaine élite, ne reste pas moins le reflet de son époque. C'est ainsi que dès 1940, Vogue décide d'arrêter sa publication.

Vogue Paris, 1940

La fin de la Seconde Guerre mondiale signe la reprise de la publication de Vogue Paris. Le premier numéro de 1945 montre une place de la Concorde ensoleillée et radieuse sur laquelle flotte un drapeau français. Le Vogue Paris de la Libération rappelle dans ses articles l'importance des choses futiles et retrouve ainsi sa vocation de magazine de luxe invitant le lecteur à s'évader de son quotidien. Les couleurs rivalisent de puissance et de gaieté et l'on célèbre Marlène Dietrich et Fred Astaire.

La volonté du magazine de rester une revue d'esthète se confirme au début des années 1950 lorsque le prêt-à-porter apparaît. Vogue Paris désire conserver sa ligne éditoriale et préfère célébrer les nouvelles créations de la maison Rochas, Lanvin, Nina Ricci et du nouveau venu Christian Dior.

Le passage du dessin à la photographie de mode se joue également au début des années 1950. Le magazine commence à faire appel à tous les grands photographes comme Horst, Beaton, Avedon. L'image doit impacter l’œil du lecteur, elle doit susciter l'envie et parler d'elle-même. Ainsi, une des premières couvertures photographiées montre, à la manière d'une princesse de Monaco hâlée par le soleil piquant de la Riviera, un mannequin en maillot de bain capturée par Henry Clarke sur les planches de Deauville, devant le Bar du Soleil, haut lieu de villégiature de l'élite parisienne en week-end.

Vogue Paris, Juin-Juillet 1956

Le magazine donne la priorité aux photographes pour qui l'image de mode est conçue comme un moyen de faire de nouvelles expériences artistiques. On peut ainsi admirer des photographies de Robert Doisneau mais aussi de Guy Bourdin, propulsé à l'époque par la nouvelle rédactrice en chef, Edmonde Charles-Roux.

Edmonde Charles-Roux, rédactrice en chef de Vogue Paris de 1954 à 1966

C'est en 1947 qu'Edmonde Charles-Roux intègre la rédaction de Vogue auprès de Michel de Brunhoff. Après un séjour chez ELLE, elle entre chez Vogue en tant que courriériste théâtrale ; elle se rend aux expositions, aux pièces de théâtre et aux spectacles et en délivre une critique sur le papier glacé de Vogue Paris. Sa plume est très vite remarquée et c'est en 1950 qu'elle est nommée rédactrice en chef. Son objectif est clair : consacrer autant de pages à la mode qu'à la culture. Proche des cercles intellectuels parisiens, elle invite les écrivains contemporains, comme François Nourrissier, à rédiger des articles ou mener des interviews. Elle célèbre le prêt-à-porter et se sert de l'influence et du prestige du magazine pour insérer sa vision de la société et de la femme moderne. Elle ne conçoit pas la mode pour elle-même mais aime exploiter les liens qu'elle peut établir avec la peinture, la sculpture, le dessin. Elle souhaite s'adresser à la femme qui prend autant de plaisir à découvrir une œuvre qu'à s'habiller. Elle remarque ainsi le travail d'un jeune photographe travaillant à la Samaritaine, Guy Bourdin. Il réalise alors une série à contre-courant des codes esthétiques des années cinquante, intitulée Chapeaux-Choc. En introduisant des mannequins vêtus de Dior dans un marché entourées de têtes de bœuf coupées, de lapins éviscérés, il crée la polémique. Malgré les vagues de protestation, le magazine continue la collaboration. Le côté subversif et audacieux de Vogue Paris, qui lie sans complexe culture et excentricité, fait son succès et participe à la légende qu'il entretient et que l'on retrouvera avec Carine Roitfeld dans les années 2000.

Guy Bourdin, Chapeaux Choc, Vogue Paris, 1954

À la fin des années 1960, la rédaction décide d'élaborer un numéro spécial Noël dirigé par une personnalité du monde des arts et des lettres. Ainsi, en 1969, Françoise Sagan prend les rênes du magazine car la mode l'amuse, que les possibilités artistiques et techniques de Vogue sont énormes, qu'elle adore prendre l'air décidé et débrouillard, et que ça paye son tapissier, précise-t-elle dans son édito. Elle invite Claude Rich, Martial Raysse, Claude Chabrol à jouer les stylistes d'un jour pour une série shootée par Jean Loup Sieff, tandis qu'elle-même publie des billets d'humeur sur la beauté. Les numéros de Noël sont l'occasion d'inviter des artistes à imprimer leur vision de la mode et de la femme dans les pages du magazine. Ont été invités Nelson Mandela, Dalí, Hitchcock, Miró, Chagall, Kurozawa, et même le Dalaï Lama qui emmena le lecteur au Tibet et l'initia à la méditation. Ce sont des numéros historiques qui, par leur contenu, illustre la volonté de Vogue Paris de faire de la mode un objet de culture, inhérent à la société comme l'est, finalement, l'art.

Les années 1970 marquent l'apogée du style porno-chic dans les pages de Vogue Paris et ce, grâce à la collaboration du magazine avec Helmut Newton et Guy Bourdin. On joue sur l'ambiguïté du masculin-féminin en pleine époque d'émancipation sexuelle. Vogue Paris développe un univers sombre et mystérieux. Les images de Guy Bourdin par cette dimension érotique proposent alors une nouvelle façon de considérer la photographie de mode, vision encouragée par Francine Crescent qui voulait que « ses lectrices ronronnent de plaisir » en feuilletant le magazine. Les années 1980 vont cependant voir le porno-chic s'essouffler avec l'arrivée des super-modèles. Vogue Paris devient dans les années 1980 et 1990 un magazine où l'on s'amuse des codes du luxe en les sublimant ou en les détournant mais en gardant toujours en tête la volonté de transmettre du rêve et de la sophistication aux lecteurs.

En 2001, Carine Roitfeld arrive à la tête du magazine. Très vite, elle pose son empreinte chic et provocatrice à travers des séries photos toutes plus exubérantes les unes que les autres, comme Diana Vreeland a pu le faire durant tant d'années chez Harper's Bazaar puis Vogue.

Carine Roitfeld, rédactrice en chef de Vogue Paris de 2001 à 2011

L'identité stylistique et visuelle de Carine Roitfeld est à son paroxysme durant dix années où Vogue Paris connaît de belles heures de gloire et bat des records de vente. Chaque numéro est un régal d'inventivité, de style, de provocation, de luxe. Le magazine continue de lier art, culture mais aussi transgression et créativité. Carine Roitfeld remet au goût du jour le porno-chic dans des séries à l'impact visuel et stylistique très fort. Elle invite Sofia Coppola à jouer les metteurs en scène pour un numéro de Noël, célèbre l'histoire de Chanel, explore les ADN des grandes marques de luxe, réinterprète les codes du New Look et collabore avec les plus grands photographes pour créer des images aujourd'hui incontournables pour n'importe quel féru de mode.

Emmanuelle Alt lui succède en 2011. Depuis six ans, cette Parisienne insuffle aux pages glacées de Vogue Paris sa vision d'une mode qui descend dans la rue, qui fait la fête et se joue des idées reçues.

Elle choisit en mars 2017 de célébrer la beauté transgenre en couverture du magazine et un mois plus tard, alors que la campagne présidentielle bat son plein avec une violence crue et déstabilisante, elle choisit de célébrer un Paris multi-culturel, un Paris audacieux et libre, ouvert au monde, comme l'est la France.

Vogue Paris est ainsi un magazine à priori en dehors des réalités mais qui cherche à refléter son époque. En collaborant avec des artistes, en célébrant la liberté de la femme mais aussi les libertés individuelles, en se jouant des codes du luxe, Vogue Paris fait de la mode un objet culturel et sociétal mais en fait également un objet de fantasme. Ce sont ces contradictions qui font l'essence même de Vogue Paris qui a ainsi su se démarquer des autres éditions de Vogue.

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